La vie rêvée des ânes

C'est arrivé ce soir, à la gare.

J'ai croisé quelqu'un qui ressemblait assez à l'image que me renvoie mon miroir. Physiquement, donc. Je me suis un peu demandé si lui aussi se reconnaissait en moi. Je ne suis pas sûr qu'il m'ait vraiment vu. Encore moins sûr qu'il y ait vraiment une ressemblance.

Mais la vraie question que je me suis posée, c'est de savoir comment je réagirais si je rencontrais mon clone complet. Non seulement au niveau physique, mais aussi psychologique. Il faudrait évidemment qu'il ait eu une vie similaire à la mienne, car je crois autant à l'influence de l'acquis que de l'inné en ce qui concerne la formation d'une personnalité.

Il me faudrait beaucoup plus de temps qu'un simple regard posé sur un inconnu dans une gare. Peut-être un collègue, un ami. Ou quelqu'un dont je lirai le joueb.

Je partage certes des points communs avec de nombreuses personnes. "Forcément", sans doute, j'ai une culture commune avec de nombreuses personnes de mon entour- et de mon -âge. J'écoute des gens, ou bien je les lis, et je me rends compte que je suis bien d'accord avec eux.

Mais ce n'est pas suffisant. Ce n'est pas parce que j'ai l'impression d'avoir les mêmes idées que je suis pareil: je ne les aurais certainement pas exprimées de la même façon. Pire, même, d'un nature plutôt réservé, je ne les aurais peut-être tout bonnement jamais exprimées. Qu'en aurait pensé un hypothétique autre moi-même qui m'observerait ? Rien, puisqu'il n'aurait pas eu moyen d'avoir accès à ces pensées non-dites.

L'avis que je porte sur ma propre personne est forcément faussé : je sais ce que je pense (enfin je crois), je sais (ou je crois savoir, là encore) quelles sont mes "valeurs", mais l'image que je montre de moi ne révèle pas forcément tout ca. J'avais tendance à ne pas accorder d'importance à cela,
à me moquer de l'opinion que peuvent avoir les autres de moi. Je suppose que je me disais que s'ils étaient intelligents ils pourraient découvrir qui je suis vraiment. Hmm, pas sûr que j'ai réfléchi aussi loin.

Tout simplement, je voulais garder ce que j'étais pour moi, et c'est tout.

D'ailleurs, je reste très égoïste, ou du moins égocentrique. Je ne cherche pas à savoir ce que les autres peuvent penser de moi, mais plutôt ce que je penserais moi-même de moi, vu de l'extérieur. Serais-je plus ou moins sévère avec moi, de cette façon plutôt qu'en connaissant ce qui est au fond de moi ?